Le projet de loi n° 62, Loi visant principalement à diversifier les stratégies d’acquisition des organismes publics et à leur offrir davantage d’agilité dans la réalisation de leurs projets d’infrastructure (« projet de loi 62 ») a été adopté en octobre 2024 par l’Assemblée nationale du Québec. Cet article traite des principaux changements apportés par le projet de loi 62 et de la façon dont le secteur de la construction peut tirer parti de ces changements législatifs.

Principales caractéristiques : L’une des principales mesures du projet de loi 62 est l’introduction du « contrat de partenariat », un nouveau type de contrat à la disposition des organismes publics régis par la Loi sur les contrats des organismes publics, la principale loi gouvernant les contrats publics de la province du Québec. Les contrats de partenariat sont définis comme « des contrats conclus dans le cadre d’un projet d’infrastructure à l’égard duquel un organisme public associe un contractant à la conception et à la réalisation de l’infrastructure ainsi qu’à l’exercice d’autres responsabilités liées à l’infrastructure tels son financement, son entretien ou son exploitation, et qui impliquent une approche collaborative pendant ou après le processus d’adjudication ». En vertu des nouvelles dispositions, l’expression « approche collaborative » peut notamment comprendre certains ateliers bilatéraux, une mise en commun des ressources et des informations ainsi qu’un partage consensuel des risques et des gains réalisés pendant la durée du contrat.

Avantages de l’approche collaborative : L’objectif fondamental du projet de loi 62 semble être la notion de « participation précoce des contractants » dans les projets d’infrastructure. Bien que le projet de loi mette en évidence l’« approche collaborative », il laisse entendre que le contractant dirige cette collaboration.  De nouvelles données soutiennent une approche élargie de la collaboration. Selon un rapport de McKinsey publié en janvier 2020, les modèles collaboratifs améliorent la rentabilité globale de 17,5 % et le respect des échéanciers de 15 % (les améliorations apportées aux échéanciers des projets de soins de santé étaient de 35 %).  Le rapport définit les « contrats de collaboration » comme étant ceux qui ont a) une période de planification préalable définie, b) un seul contrat entre tous les partenaires de prestation de services essentiels, c) une clause d’exonération de responsabilité et d) une structure de gestion conjointe. Il démontre que l’utilisation de contrats de collaboration peut améliorer sensiblement la productivité des projets : « L’utilisation de pratiques exemplaires en matière de contrats de collaboration peut faire passer la productivité globale de 48 % à 60 % et les économies de coûts de 27 % à 38 %. » Cela n’est pas négligeable, la conception et la construction représentant 14 % du PIB mondial.

Des recherches récentes sur les contrats relationnels appuient également une approche plus large en vertu du projet de loi 62. Les auteurs du livre Contracting in the New Economy soulignent l’importance d’une approche plus relationnelle des contrats. S’appuyant sur les travaux de cinq lauréats du prix Nobel d’économie, ils décrivent les différences entre les contrats transactionnels distincts (comme ceux utilisés dans le processus conception-offre-construction qui existait au Québec avant le projet de loi 62) et les contrats relationnels :

  • Le contrat transactionnel se caractérise par une durée plus courte, des mesures claires, une participation personnelle limitée et un faible besoin de coordination et de coopération
  • Le contrat relationnel se caractérise par une durée plus longue, des mesures moins précises, une participation personnelle plus importante et une coordination et une coopération étroites

Nous pouvons affirmer sans risque que tous les contrats d’infrastructure publique se « caractérisent par une durée plus longue, des mesures moins précises, une participation personnelle plus importante et une coordination et coopération étroites. ». Frydlinger et autres présentent les avantages de chaque type de contrat:

Source: Contracting in the New Economy

D’autres études vont dans le sens de la décision de l’Assemblée nationale du Québec de passer à des approches contractuelles axées davantage sur le partenariat et la collaboration qui facilitent « l’allongement de la durée de la planification d’activités afin d’accroître la confiance dans l’étendue du projet, le calendrier, les quantités, etc. ».

À notre avis, le projet de loi 62 laisse place à la flexibilité et à la créativité. En particulier, les projets peuvent désormais suivre l’approche de la réalisation de projets intégrée (RPI), qui a été mise en œuvre ailleurs au Canada et à l’étranger depuis plusieurs années. Cette approche a fait ses preuves : elle a permis de maximiser l’efficacité, d’améliorer les résultats de projets complexes regroupant de nombreuses parties prenantes et d’augmenter le nombre de promoteurs intéressés. Le pont Waaban Crossing à Kingston (Ontario) est un exemple parfait de projet d’infrastructure RPI. Le projet de 180 M$ a été achevé dans les délais, en respectant le budget et les avantages ont dépassé les attentes. Plusieurs modèles de contrat de RPI peuvent être utilisés au Québec, y compris le CCDC 30 2018 (une nouvelle version est prévue sous peu), le modèle de RPI standard de Hanson Bridgett pour le Canada et le document de l’AIA C191- 2009 Multi-Party Agreement – IPD, modifié aux fins d’utilisation dans le cadre de projets et en fonction des exigences légales locales.

D’autres modèles de contrats collaboratifs gagnent en popularité au Canada. Les contrats d’alliance sont de plus en plus utilisés pour la réalisation de projets d’infrastructure au Canada. Un modèle d’alliance ressemble beaucoup à un contrat de RPI, sauf que les parties sont tenues d’exposer aux risques leurs frais généraux et leurs bénéfices (seul le bénéfice est exposé au risque dans un contrat de RPI) et certains types de comportements (appelés « points stratégiques ») peuvent être encouragés séparément plutôt que par l’augmentation des profits à se partager. Fait intéressant, les contrats d’alliance ne prévoient aucun mécanisme d’exécution. Les parties renoncent à leur droit de s’adresser aux tribunaux ou de demander l’arbitrage ou la médiation. Cela signifie que tous les différends doivent être réglés à l’interne.

Infrastructure BC utilise un modèle d’alliance dans le cadre de son programme de restauration des autoroutes endommagées par des feux de forêt et des conditions météorologiques extrêmes. Metrolinx a utilisé un contrat d’alliance dans le cadre de la rénovation de la gare Union à Toronto. D’importants donneurs d’ordres nord-américains comme l’aéroport de San Francisco ont eu recours à des contrats de conception-construction progressive pour réaliser des projets de plusieurs milliards de dollars. La conception-construction progressive diffère de la RPI en ce sens qu’après la première phase (p. ex. : la période de validation de la RPI), les parties conviennent d’un prix fixe ou un coût maximum garanti et d’une date de livraison précisée dans le contrat. L’Autorité aéroportuaire du Grand Toronto privilégie la conception-construction progressive comme modèle de livraison pour les améliorations apportées à l’aéroport Pearson. Le gouvernement du Québec a choisi un modèle collaboratif qui se situe quelque part entre une conception-construction progressive et une alliance pour gérer la conception et l’installation d’un nouveau toit sur la Stade olympique à Montréal.

Dispositions spécifiques : Le projet de loi 62 prévoit que les documents d’appel d’offres doivent, si l’approche collaborative comprend le partage des risques, des économies, des gains ou des pertes, contenir une « déclaration selon laquelle les modalités du partage seront convenues entre les parties et précisées dans le contrat de partenariat ». Certains intervenants ont soulevé des questions quant à l’étendue des renseignements qui seront inclus dans les appels d’offres liés aux volets collaboratifs du projet et au processus de sélection des partenaires par le donneur d’ordre. Afin de permettre aux soumissionnaires potentiels d’évaluer adéquatement leur intérêt à soumissionner sur un projet, les renseignements fournis par le donneur d’ordres devraient être suffisamment détaillés pour encourager une réponse axée sur la collaboration au sein du projet. De façon plus générale, des lignes directrices bien définies et la disponibilité des renseignements dès le début de la mise en œuvre de ces contrats de « partenariat » pourraient contribuer à accroître l’intérêt de toutes les parties concernées.

Certaines parties prenantes du secteur de la construction ont exprimé des préoccupations au sujet du libellé « un organisme public associe un contractant » cité ci-dessus et ont souligné que la collaboration ne devrait pas leur être imposée. Ils soutiennent que les contractants devraient avoir la capacité de s’associer à des professionnels et à des entrepreneurs spécialisés de leur choix avec lesquels une relation de confiance est déjà établie. En particulier, aucune collaboration ne devrait être imposée entre les sociétés qui ont connu des conflits juridiques découlant de la gestion contractuelle antérieure. D’autre part, les organismes publics souhaitent pouvoir sélectionner les meilleurs partenaires dans chaque discipline/métier sur une base individuelle.

Une critique courante est le fait que les contrats de partenariat ne seront accessibles qu’aux grands acteurs du secteur, qui risquent d’être moins intéressés par les petits marchés, y compris les marchés régionaux. Ces projets sont actuellement entrepris par des acteurs importants qui se spécialisent dans les infrastructures routières, les ponts, le traitement des eaux et autres. Les préoccupations relatives à la chaîne d’approvisionnement devraient être prises en compte par les législateurs et les donneurs d’ordre. Par exemple, comment permettre aux petits acteurs d’obtenir un accès égal aux petits projets d’infrastructure afin qu’ils puissent renforcer leur capacité et permettre à une chaîne d’approvisionnement plus vaste de réaliser plus de projets.

La promotion d’approches contractuelles plus collaboratives pourrait faire en sorte que le rôle des cabinets de génie-conseil et d’architectes doive évoluer. Plus particulièrement, dans certaines variantes de contrats de partenariat, les cabinets d’ingénieurs-conseils pourraient être plus fréquemment appelés à jouer un rôle de sous-traitant auprès des entrepreneurs en construction. Cette situation modifie la dynamique et, selon une association sectorielle, pourrait faire en sorte que les cabinets de génie-conseil ne soient plus en mesure de jouer pleinement leur rôle de conseillers stratégiques auprès des organismes publics. De plus, la responsabilité professionnelle des cabinets pourrait être accrue dans certains cas, notamment lorsque les renseignements liés au projet sont mis en commun et qu’un cabinet omet d’effectuer un examen exhaustif de la documentation. De plus, lorsque les ressources liées au projet sont mises en commun, l’indépendance de l’ingénieur pourrait être mise en doute.

Toutes les parties concernées semblent s’entendre qu’il faudra un changement de culture de la part de tous les acteurs pour que les contrats de partenariat soient un succès. Le changement de culture ne se limite pas à la gestion du changement; il exige une compréhension du changement de paradigme que représente le passage des contrats transactionnels aux contrats relationnels. Pour y arriver, tous les acteurs devront participer. Les associations sectorielles devront fournir de la formation à la chaîne d’approvisionnement. Les ministres responsables, notamment le ministre des Transports et de la Mobilité durable, et la haute direction des organismes publics devront s’engager à l’égard de ces modèles de collaboration et démontrer un changement de culture en matière d’approvisionnement, de participation et de gestion de projet. Bien que ce ministère et la Société québécoise des infrastructures (SQI) soient autorisés à utiliser des contrats de partenariat, les autres organismes publics doivent obtenir une autorisation du ministre responsable pour se faire. Les sociétés d’encadrement et les établissements d’enseignement supérieur devront offrir de la formation et du perfectionnement de compétences insistant sur l’importance des objectifs et la portée des contrats de partenariat.

Un autre changement important et très intéressant apporté par le projet de loi 62 est le droit pour un organisme public d’attribuer un contrat de gré à gré lorsqu’aucune réponse conforme n’est reçue à la suite d’un appel de propositions, une situation plus fréquente ces derniers temps. Certains ont relevé des obstacles pratiques à l’utilité prévue de cette disposition. Par exemple, si aucune proposition conforme n’est reçue à la fin du processus de demande de proposition, il n’est pas sûr qu’un tiers puisse satisfaire aux exigences initiales du contrat. En outre, les nouvelles dispositions ne permettent pas expressément aux organismes publics de conclure des accords relatifs aux travaux préliminaires de gré à gré, qui sont régulièrement utilisés pour garantir le calendrier du projet en réalisant à l’avance certaines activités essentielles.

Conclusion

Le projet de loi 62 est une réponse directe à la Stratégie québécoise en infrastructures publiques publiée plus tôt cette année, dont le titre « Des infrastructures de qualité, réalisées plus rapidement et à meilleur coût » reflète ses trois principaux objectifs : 1) accélérer la réalisation des projets, 2) obtenir de meilleurs coûts et 3) améliorer l’état de nos infrastructures publiques.

Le projet de loi 62 est un pas dans la bonne direction,[1] mais d’autres mesures et des efforts soutenus de mise en œuvre seront nécessaires pour atteindre ces objectifs et susciter l’intérêt des contractants pour les contrats publics, le tiers de ces contractants perdant de l’intérêt pour les contrats publics, selon des chiffres récents.

Bien que les contrats avec les municipalités ne soient pas assujettis au projet de loi 62, un autre projet de loi qui élargirait la boîte à outils des municipalités, notamment en leur permettant de lancer des appels d’offres pour des contrats de partenariat, a été déposé à l’Assemblée nationale le 7 novembre dernier. Les municipalités d’autres régions du pays ont pris les devants en recourant à des contrats de collaboration pour des projets qui vont des stations d’épuration aux casernes de pompiers en passant par les centres de loisirs. Il devrait être une priorité pour l’Assemblée nationale de prendre des mesures relatives aux municipalités du Québec.

[1] Un projet de Règlement modifiant le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics a notamment été publié en avril 2024. Notons également que le projet de loi 62 s’ajoute aux récentes modifications législatives, notamment celles apportées à la Loi sur les contrats des organismes publics en 2022 afin d’y inclure des dispositions relatives à l’innovation et aux contrats « responsables ». Bien que quelques initiatives ont été mises de l’avant depuis , il y a place à des actions plus importantes à cet égard. Voir par exemple notre article sur le premier projet pilote au Québec visant à accorder un avantage aux entreprises qui engagent des autochtones pour l’exécution d’un contrat public: https://mcmillan.ca/insights/publications/first-pilot-project-in-quebec-aimed-at-granting-an-advantage-to-enterprises-hiring-indigenous-peoples-for-the-performance-of-a-public-contract/