Que ce soit sous terre ou au-dessus de nos têtes, chaque centre urbain possède des réseaux exposés et cachés de câbles et de tuyaux qui nous permettent de rester connectés. Si un projet de construction met en péril ce délicat réseau de services publics, la collectivité risque de perdre les services d’électricité, de télécommunications, d’eau, de gaz et d’évacuation qui font partie intégrante de notre vie quotidienne et de nos activités. Les risques pour le projet lui-même augmentent également.

De nos jours, la coordination et la gestion des services publics constituent l’un des risques les plus importants d’un projet de construction en milieu urbain. Avant même de commencer un projet, vous devez exactement savoir quelle est l’infrastructure qui passe sous terre et en surface, et comment vous allez la gérer. Communément appelé « coordination des services publics », et élément clé de toute stratégie préparatoire, ce travail de planification fait appel à de nombreux intervenants et nécessite un haut niveau de partenariat et de précision.

Malgré les nombreuses directives relatives à la planification et au déplacement des services publics, les défis entourant leur coordination sont bien réels dans toutes les villes canadiennes, et ce, quel que soit le projet. En explorant des exemples de risques réels et d’approches de la gestion des services publics, nous pouvons cerner les tactiques qui fonctionnent bien et, à terme, élaborer un ensemble concret de pratiques exemplaires pour mieux traiter cette question complexe.

Qu’est-ce que la coordination des services publics?

L’ Association des transports du Canada (ATC) définit la coordination des services publics – ou la gestion des services publics – comme « la coordination des projets entre les autorités foncières publiques et les fournisseurs de services publics. Il s’agit d’un processus qui vise à identifier et à résoudre rapidement les retards et les confusions susceptibles d’accroître inutilement la complexité et le coût d’un projet. » [traduction]

Constituée d’étapes clés de planification, de conception et de construction, la coordination des services publics constitue un projet en soi. La coordination des services publics, idéalement réalisée dans les années précédant le projet de construction principal, permet à l’équipe de projet de commencer la construction avec des voies claires sous terre, en hauteur et au niveau du sol.

C’est le déplacement des services publics qui rend un projet plus complexe. Les lois, les accords, les règles et règlements qui accordent aux parties prenantes, aux villes ou aux services publics des droits de passage varient en fonction du projet et de l’emplacement, ce qui oblige les équipes de projet à gérer le déplacement des services publics au cas par cas, sans pouvoir s’appuyer sur un ensemble clair et précis de pratiques exemplaires.

Consciente de la nécessité de minimiser les conflits et d’encourager la cohérence, l’ATC a publié des lignes directrices pour la coordination du déplacement des réseaux de services publics (Guidelines for Coordination of Utility Relocations) en juin 2016. Ces lignes directrices contribuent à définir et à préciser les rôles et les responsabilités des administrations routières publiques et des services publics. Cependant, cinq ans plus tard, nous sommes toujours confrontés à des questions spécifiques aux projets. En février 2020, le gouvernement de l’Ontario a publié une déclaration indiquant qu’il travaille avec les services publics de la Région du Grand Toronto pour renforcer la coordination des projets de construction d’installations de transport en commun – confirmant ainsi les défis qui entourent la coordination des services publics.

Pourquoi la coordination des services publics est-elle difficile à gérer?

Les grands projets font appel à de multiples organismes de services publics et parties prenantes qui se réunissent pour travailler sur un projet qu’ils n’ont pas conçu. En fonction de l’emprise, le déplacement des services publics peut se faire aux dépens d’un organisme de services publics et, parfois, ne pas correspondre aux objectifs et aux priorités du grand projet à venir.

Pour compliquer encore les choses, les terres publiques et les organismes de services publics ne fonctionnent pas de la même façon. La responsabilité de la gestion des services publics dépend du modèle de construction d’un projet – ce qui conduit souvent à une autre question importante : « Comment pouvons-nous gérer au mieux les risques liés aux services publics? »

Pensons aux manchettes concernant des réseaux de fibres optiques, des conduites de gaz, des conduites d’eau et d’autres infrastructures de services publics endommagées par des travaux de construction et causant l’interruption de certains services et la perturbation de la circulation routière, ou pire encore. De telles difficultés se sont posées dans le cadre d’un projet de train léger sur rail (TLR), dans l’est du Canada. Afin de limiter les fermetures de routes, une section du projet a été regroupée avec un projet d’élargissement de l’autoroute. Les équipes du projet et les autorités routières, de même que plusieurs intervenants, se sont réunies pour réaliser les travaux nécessaires. Malgré tous les efforts déployés et la coopération des services publics, l’entrepreneur a heurté une conduite de gaz pendant les travaux de construction. L’autoroute a donc été fermé pendant plusieurs heures, le temps de réparer la conduite.

Comment cela a-t-il pu se produire? Les travaux de conception et de construction ont été bien coordonnés, mais on a découvert trop tard que les plans conformes à l’exécution comportaient certaines erreurs. Ces plans sont essentiels pour localiser les services publics existants. Pour cette raison, bon nombre de municipalités et d’organismes de services publics les conservent à portée de main dans leurs dossiers. L’exactitude de ces plans peut toutefois varier en fonction des protocoles administratifs et d’assurance qualité de l’organisme.

Est-ce que cet incident aurait pu être évité? Oui.

Les coordonnateurs des services publics sont souvent aux prises avec des difficultés liées à des plans de construction inexacts, à des localisations vagues ou imprécises et à des attentes floues concernant l’étendue des travaux d’un projet majeur.

Les plans de construction inexacts ou incomplets sont l’un des risques connus auxquels un projet peut être confronté. Bien qu’ils n’expliquent pas à eux seuls les problèmes de coordination, l’incertitude, l’incohérence et le manque de rigueur quant à la question de savoir qui doit assumer et gérer la coordination des services publics, ainsi que les problèmes connexes résultant de contrats imprécis, peuvent retarder un projet et accroître ses coûts. En conséquence, les entrepreneurs hésitent de plus en plus à soumissionner pour des projets majeurs s’ils doivent assumer le risque lié aux services publics, car les enjeux sont tout simplement trop élevés.

Quand la coordination des services publics tourne mal

Cette expérience est un exemple courant de ce qui peut mal tourner quand on coordonne des services publics, et ce, malgré les meilleures intentions du monde. Mais que se passe-t-il lorsque la planification et la communication sont défaillantes ou que les intérêts personnels sont en conflit?

En ce qui concerne les services publics, la planification et les travaux préparatoires d’un projet peuvent avoir un impact considérable sur le calendrier et le budget global. Les travaux préparatoires d’un projet dépendent de la participation et de la coopération de tous les organismes de services publics, des autorités routières ou autres parties prenantes concernées, telles que les opérateurs ferroviaires et de transport en commun. Dans certains cas, il existe très peu d’indications sur la meilleure façon de mobiliser ces organismes. Chacun est donc porté à se concentrer sur les priorités et les projets qui protègent ses intérêts, ce qui est non seulement naturel, mais relève aussi d’une obligation fiduciaire.

C’est le cas pour un important programme de travaux dans le centre du Canada, où la coordination des services publics a été sur le chemin critique et continue d’avoir l’impact le plus important sur le coût et le calendrier. Les services publics concernés fournissent des infrastructures vitales pour la ville, mais sont régis par des réglementations et des accords complexes qui échappent souvent au contrôle ou à l’influence directe du maître d’ouvrage municipal.

Dès les premières étapes de la conception, trois équipes de projet se sont réunies pour évaluer et gérer la nécessité de déplacer et d’améliorer les services publics, ce qui constituait une partie importante du cahier des charges. Même si les responsables se sont penchés sur cette question au tout début du projet et que le programme a considérablement progressé tant du point de vue de la conception que de la construction – qui est en cours depuis plus de deux ans – aucune entente n’a encore été conclue quant au partage des coûts. De plus, la question de la coordination et de l’intégration de la conception des services publics n’est toujours pas réglée. Les discussions avec les organismes de services publics ont été lancées dès le début du projet, mais la plupart des solutions entraînaient une prolongation du projet et un dépassement du budget du propriétaire. De longues négociations ont débuté dans l’espoir que le propriétaire du programme financerait la plupart des coûts, y compris une partie du remplacement ou de la suppression des infrastructures de services publics vieillissantes. Les organismes de services publics imposent des restrictions à la conception, relatives par exemple à l’arrimage aux structures existantes ou aux installations sous une nouvelle construction, ce qui limite les solutions techniques. En fin de compte, en raison de ces complications, pour parvenir à un règlement, les responsables du projet ont recouru aux tribunaux responsables des services publics.

Les services publics réglementés contrôlent à la fois la conception et la construction de leurs infrastructures. Les consultants et entrepreneurs qui travaillent sous leur direction ne sont pas responsables de la coordination, du budget ou du calendrier devant l’équipe du grand projet. Le fait de dépendre ainsi d’intervenants externes risque encore plus de bouleverser le calendrier, car rien ne les incite à agir rapidement pour respecter les délais du grand projet. Il faut donc effectuer un suivi continu avec ces intervenants, afin de s’assurer que leurs solutions peuvent être mises en œuvre sans nuire au calendrier ou aux coûts du programme de travail principal.

La coordination des services publics comporte des exigences techniques et juridiques complexes. Dès le début du projet, tandis qu’on élabore une stratégie d’atténuation des risques, il faut mieux saisir les tenants et aboutissants des accords existant déjà avec les services publics, les plans généraux des services publics et les priorités des intervenants.

L’incertitude, l’incohérence et le manque de rigueur entourant la question de savoir qui doit assumer et gérer la coordination des services publics posent un problème permanent. Nous espérons pouvoir en tirer des leçons et l’éviter à l’avenir.

Qu’est-ce qui fonctionne?

La stratégie courante consiste à bien comprendre les risques connus et moins connus liés aux services publics, et à confier l’atténuation de ces risques aux parties les plus aptes à les gérer, mais la façon dont vous abordez la coordination des services publics peut également vous aider.

Compte tenu du grand nombre d’intervenants, d’organismes et d’autorités réglementaires généralement concernés par le dossier, le coordonnateur ou l’équipe de coordination des services publics doit maintenir des lignes de communication claires et cohérentes. Les cas que nous avons explorés jusqu’à présent représentent deux approches très différentes – l’une consistant à réunir trois équipes distinctes pour coordonner les services publics dans le cadre d’un projet, et l’autre à placer la responsabilité de la coordination sur une seule entité.

En simplifiant l’approche de la coordination et en limitant la responsabilité à une seule entité, toutes les parties prenantes se rapportent à un seul point de liaison. Si l’entité responsable de la coordination peut consacrer une équipe à la seule gestion des services publics, toutes les parties en bénéficieront. Sans la pression supplémentaire qu’exerce la gestion des risques liés aux services publics, les parties prenantes, les consultants et les entrepreneurs peuvent se concentrer sur leurs domaines d’expertise respectifs et sur les principaux objectifs du projet.

Le fait de compter sur une seule entité pour gérer les services publics permet également à l’équipe responsable de toujours avoir sous les yeux un tableau d’ensemble de la situation. En milieu urbain, il y a souvent plusieurs projets de construction en cours ou en phase de planification, ce qui peut modifier votre approche de la coordination. L’équipe de coordination peut donc approcher les organismes de services publics avec un plan global plus stratégique et plus susceptible de profiter à toutes les parties, car ce plan tient compte des projets en cours et à venir qui, dans le secteur concerné, vont probablement consommer plus d’énergie ou exercer une pression plus forte sur l’infrastructure existante des services publics.

C’est l’approche adoptée par une ville de l’Ouest canadien pour son nouveau projet de métro léger. Dans son contrat principal, la ville souligne que le travail de déplacement des services publics risque d’avoir un effet sur les coûts et le calendrier. Partant de ce constat, elle a choisi une méthode de gestion de la construction faisant appel à l’expertise de la communauté des entrepreneurs dans la phase d’activités précédant la construction et permettant à une seule entité de coordonner les services publics tiers. Le gestionnaire de la construction agit alors comme représentant de la ville. Il peut ainsi miser sur les relations que la ville entretient déjà avec des organismes de services publics tiers, ce qui l’aide à obtenir les résultats voulus.

Bien que ce projet du centre-ville soit une entreprise importante, ce n’est pas le seul projet majeur de la ville. De nombreux projets de transport en commun durent si longtemps qu’il faut souvent tenir compte d’autres projets ayant des interférences. En tenant compte des autres projets en cours ou à venir dans un secteur donné, l’équipe peut mieux dialoguer avec chaque fournisseur pour anticiper les besoins en matière de services publics. Grâce à cette stratégie, les services publics concernés seront beaucoup moins sujets à des réaménagements et des interruptions dans les années qui suivent.

Dans la plupart des grands centres urbains, le partage des coûts est régi par des règlements municipaux. Cela peut réduire le risque de coût supplémentaire pour le propriétaire, mais en travaillant avec les organismes de services publics tiers, on peut réduire davantage les frais liés à des litiges, des retards et des plaintes.

Minimiser les risques

Les propriétaires de projets peuvent prendre plusieurs mesures pour réduire les risques liés à la coordination des services publics.

  1. S’y prendre à l’avance : commencez par demander à toutes les parties de partager leurs plans d’investissement sur cinq à dix ans. Pourquoi attendre que le projet soit annoncé et financé?
  2. Nommer une équipe responsable des services publics : montez une équipe chargée de gérer la coordination des services publics et investissez dans vos relations avec les fournisseurs tiers de services publics, les organismes de réglementation et les parties prenantes concernées. Pensez à des stratégies créatives, par exemple le détachement et le partage des locaux du personnel des services publics afin de mobiliser et de coordonner efficacement les tierces parties.
  3. Investir dans la localisation et les plans conformes à l’exécution : arpentez, cartographiez, localisez et mettez à jour tous les registres des services publics dans l’emprise et à proximité du projet. Utilisez la technologie, comme le SIG et le GPS, pour améliorer la précision et la transférabilité.
  4. Dotez-vous d’un plan : élaborez un plan de gestion des risques centré sur les services publics afin de cerner les solutions permettant d’atténuer les risques connus et inconnus. Mettez le plan à jour et rendez-en compte régulièrement pendant toute la durée du projet.
  5. Dressez votre budget : anticipez les coûts de déplacement en fonction de votre plan et réservez des fonds d’urgence pour les risques connus et inconnus. Tenez compte des accords existants et soyez transparent avec les parties prenantes, les services publics tiers et les partenaires financiers en ce qui concerne la responsabilité des coûts. Envisagez un fonds de prévoyance afin de parer aux risques inconnus liés aux services publics, qu’il y ait ou pas une entente entre les parties.
  6. Préparez-vous aux conflits : familiarisez-vous avec les accords, les lois, les règlements et les procédures de droit de passage liés à la coordination des services publics. Des exceptions sont-elles justifiées pour le grand projet? Préparez un plan de gouvernance pour définir clairement les rôles, les responsabilités et les obligations contractuelles de chaque partie prenante, organisme tiers et autorité. Anticipez comment le conflit pourrait s’envenimer et trouvez un moyen rapide de le régler qui ne soit ni politique ni juridique.
  7. Évitez de transférer le risque à l’entrepreneur : permettez à l’entrepreneur de gérer le déplacement des services publics uniquement si ces derniers posent un risque négligeable, s’ils se trouvent dans votre emprise et s’il est plus efficace et rentable pour vous de le faire. Si ce n’est pas le cas, la responsabilité du déplacement devrait incomber par défaut au propriétaire, ce qui minimise le risque du projet.

Faites appel à un coordonnateur tiers

Bien que les tendances montrent que la coordination des services publics gérée par le propriétaire donne les résultats les plus favorables, que faire si la ville – ou son consultant en conception – n’a pas la capacité ou les ressources voulues pour se consacrer à ce travail dans le cadre d’un nouveau projet d’investissement?

Un coordonnateur tiers peut assumer l’entière responsabilité de la coordination entre les parties prenantes et les différents organismes. Étant donné qu’ils sont au courant des buts et objectifs du projet, ils peuvent atténuer les risques et se concentrer sur la réussite du projet, et ce, sans parti pris.

Il peut être avantageux d’engager un partenaire chevronné dès les premières étapes de la planification. Les maîtres d’ouvrage qui envisagent d’adopter cette approche doivent tenir compte des éléments suivants :

  1. La capacité : une équipe de représentants du propriétaire évite de devoir consacrer des ressources internes limitées à un seul projet, et de délaisser les programmes en cours. Cette solution souple et rentable représente un complément à votre équipe de projet, le cas échéant.
  2. Capacité d’intégration : la conception technique et les solutions de construction sont la partie facile de la coordination des services publics. L’intégration, la gestion, la mobilisation et la coordination de tous les tiers, des multiples services internes, des parties prenantes du projet et des bailleurs de fonds sont les responsabilités qui, en fin de compte, sont les plus importantes. En tant que point de contact unique, le représentant du propriétaire apporte un haut niveau de communication et de gestion des relations. S’il est efficace, le représentant du propriétaire peut fournir le leadership et la qualité des soins nécessaires pour contribuer à atténuer les risques liés aux services publics.
  3. La gestion des risques fait partie intégrante de tout projet. La coordination des services publics représente un risque majeur. Il faut lui consacrer une équipe dotée de ressources et tenue responsable en vertu de la structure de gouvernance avec les parties prenantes.

Il n’y a pas de panacée ou de solution miracle pour résoudre ce problème à la fois vaste et complexe, mais la coordination des services publics est de plus en plus reconnue comme un volet crucial d’un projet et comme l’un des plus grands risques auxquels sont confrontés les grands projets de construction urbaine à l’heure actuelle. En écoutant les autres et en tirant des leçons de leur expérience, on peut s’appuyer sur des pratiques qui fonctionnent bien et éviter les pièges dans lesquels sont tombés nos prédécesseurs. Ce faisant, nous pouvons mettre au point une approche mesurée pour gérer les risques liés aux services publics, et ce, de manière à mieux servir les intérêts du projet et de toutes les parties prenantes.